Position et recommandations de Coalition Publica quant à la Version révisée provisoire de la Politique des trois organismes sur le libre accès aux publications
An English version is available here.
Commentaires généraux
En tant qu’infrastructure canadienne financée par le gouvernement fédéral pour la diffusion numérique de la recherche et la publication de revues savantes en sciences humaines et sociales (SHS), Coalition Publica soutient la transition vers un libre accès immédiat et sans frais de publication pour tous les résultats de recherches soutenues par les organismes subventionnaires fédéraux. Le soutien à la transition vers un libre accès pérenne et équitable représente une partie essentielle du mandat de Coalition Publica. Nous avons en effet la conviction profonde que la recherche est un bien public et que les Canadien·ne·s devraient avoir accès aux résultats de la recherche financée par les fonds publics, dès leur publication. Le libre accès immédiat permet d’informer nos citoyen·ne·s en plus d’accroître l’impact de la recherche canadienne et sa reconnaissance au niveau international.
Nous saluons le temps et les efforts que les trois conseils ont investis dans la révision de leur politique sur le libre accès et nous présentons ci-dessous nos réflexions à son sujet, qui s’inscrivent dans la lignée des consultations menées, auxquelles l’équipe de Coalition Publica a eu le plaisir de contribuer.
Maintien de la souveraineté canadienne en matière de recherche et
d’un écosystème de publication indépendant
L’ébauche de politique présente l’exigence que tou·te·s les chercheur·euse·s dont les travaux sont financés par des fonds publics déposent une copie de leurs articles dans un dépôt institutionnel canadien, pratique communément appelée “voie verte” du libre accès. Or, le fait qu’il s’agisse du seul mécanisme de conformité à la politique néglige d'autres acteurs clés du paysage en plein essor de la diffusion de la recherche au Canada et met en péril la souveraineté de la recherche canadienne. À une époque où la recherche est menacée, il est impératif que cette politique contribue au développement d’un écosystème canadien de publication scientifique durable et robuste, qui offre aux chercheur·euse·s des contextes de publication de grande qualité pour leurs travaux sur des sujets d’importance régionale, nationale et internationale.
La grande majorité des revues canadiennes sont indépendantes des éditeurs commerciaux et ont déjà adopté le libre accès diamant, le modèle de libre accès sans frais pour les auteur·rice·s (van Bellen & Céspedes, 2024). Ces revues sont également plus portées à publier des recherches sur le Canada et ses différentes régions que les revues appartenant à des éditeurs commerciaux (van Bellen & Larivière, 2024). Les revues canadiennes sont ainsi des ressources inestimables pour les connaissances pertinentes pour notre société et ses enjeux les plus pressants, et cela non seulement avec notre propre population, mais aussi avec le monde entier. Malgré leur importance et leur qualité, les revues canadiennes sont souvent considérées comme moins prestigieuses que les revues internationales publiées par les grands éditeurs commerciaux. Avec les termes proposés dans l’ébauche de la nouvelle politique, ces éditeurs à but lucratif bénéficieront d’un nouvel avantage sur les revues canadiennes indépendantes : le dépôt automatique dans des dépôts institutionnels.
Les chercheur·euse·s recevant des fonds publics, qui verront les exigences de la politique proposée comme un ajout à leur charge de travail, seront poussé·e·s à se tourner vers les éditeurs qui peuvent faire le processus de dépôt à leur place. Les éditeurs commerciaux ont en effet les moyens de mettre en place des systèmes complexes pour interagir avec les dépôts institutionnels, ce qui est actuellement hors de portée des revues canadiennes indépendantes et des infrastructures qui les soutiennent. Cette iniquité renforcera la perception des chercheur·euse·s que les revues commerciales sont le meilleur endroit pour publier leurs recherches financées par des fonds publics, au détriment des publications ouvertes, indépendantes et de haute qualité du Canada. Si cette politique était adoptée, nous risquerions de compromettre un aspect essentiel de la souveraineté scientifique du Canada : la capacité de maintenir un écosystème de publication nationale qui favorise la diffusion à grande échelle des recherches menées au pays.
Alignement avec les investissements d’infrastructure de recherche financée au niveau fédéral et avec la science ouverte
Depuis 2017, Coalition Publica a développé une infrastructure numérique de recherche robuste pour la diffusion ouverte de la recherche canadienne, qui soutient le secteur de la publication scientifique canadien. Coalition Publica est en effet financée par la Fondation canadienne pour l’innovation par l’intermédiaire de son Fonds des initiatives scientifiques majeures et par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada grâce à l’Initiative pancanadienne d’accès aux connaissances. Ces investissements publics, d’environ deux millions de dollars par année, ont contribué directement à la croissance du libre accès en offrant aux revues canadiennes une alternative aux éditeurs commerciaux étrangers. Ce leadership dans la publication en libre accès, soutenue par une infrastructure financée au niveau fédéral, positionnerait le Canada comme un chef de file potentiel en matière de science ouverte.
La science ouverte, comme définie par l’UNESCO, est un ensemble de principes et de pratiques visant à rendre la recherche dans tous les domaines accessible à tou·te·s, au bénéfice des chercheur·euse·s comme de la société dans son ensemble. Elle repose sur deux composantes essentielles : les connaissances scientifiques ouvertes, y compris les publications en libre accès, et les infrastructures scientifiques ouvertes telles que Coalition Publica.
Grâce aux dispositions de la Politique des trois organismes sur le libre accès aux publications établie en 2015, toutes les revues savantes soutenues par Coalition Publica permettent aux chercheur·euse·s recevant des fonds publics de s’y conformer : leurs travaux sont diffusés immédiatement en libre accès ou avec un embargo de 12 mois sur la plateforme Érudit (erudit.org). Ainsi, il est possible pour les chercheur·euse·s de se conformer à la politique actuelle par l’intermédiaire de Coalition Publica. Dans le cadre de la politique provisoire, il ne leur serait plus possible d’être conformes par l’entremise de notre infrastructure pourtant financée par des fonds fédéraux, car ils et elles devraient en plus déposer leurs articles dans un dépôt institutionnel.
Telle qu’elle est actuellement formulée, la politique compromet ainsi les investissements publics réalisés dans Coalition Publica en rendant cette infrastructure moins compétitive, du point de vue des chercheur·euse·s, pour la publication des travaux de recherche financés par les trois organismes et moins pertinente, du point de vue des revues savantes canadiennes, comme alternative aux éditeurs commerciaux. Cette politique provisoire affaiblirait donc deux contributions essentielles du Canada à la science ouverte : ses revues indépendantes et de haute qualité en libre accès de même que l’infrastructure qui les soutient, Coalition Publica.
Modifications recommandées
Considérant les points mentionnés ci-dessus, Coalition Publica propose les recommandations suivantes pour améliorer la politique provisoire :
Conformité grâce au libre accès diamant : la politique provisoire requiert le dépôt institutionnel, soit le libre accès vert, comme seul mécanisme de conformité pour les chercheur·euse·s recevant des fonds publics. Nous recommandons que d’autres formes de libre accès soient acceptées comme mécanismes de conformité : la publication dans des revues en libre accès diamant respectant les bonnes pratiques de publication (comme celles indexées dans le Directory of Open Access Journals ou DOAJ) ou sur des infrastructures de confiance en libre accès diamant, comme Coalition Publica. Si l’inclusion d'autres modes de libre accès dans la politique avait pour effet de décentraliser l'accès aux résultats de la recherche financée, nuisant aux efforts de surveillance de la conformité, les trois organismes pourraient la surveiller en établissant leurs propres procédures d’application de la politique (qui sont notablement absentes de l’ébauche) et en ajoutant des exigences courantes dans les normes internationales, qui favorisent les identifiants pérennes et l’interopérabilité, telles qu’ORCID et certaines licences Creative Commons.
Une forte expression de soutien au libre accès diamant : la politique provisoire possède l’intention claire d’encourager l’accès immédiat à la recherche financée par le gouvernement fédéral sans augmenter les coûts de publication pour les chercheur·euse·s, les organismes subventionnaires ou les bibliothèques universitaires canadiennes. Pourtant, cette politique ne mentionne pas le libre accès diamant, l’alternative la plus solide aux modèles fondés sur les frais de publication et qui assure un accès gratuit à la version finale des articles. Cette absence a de quoi interroger puisque le libre accès diamant est le modèle de libre accès de préférence pour toutes les catégories de répondant·e·s au Sondage sur la révision de la Politique des trois organismes sur le libre accès aux publications. Bien que nous comprenions que toutes les disciplines ne comptent pas nécessairement de revues en libre accès diamant, que les chercheur·euse·s aient le droit de publier dans les revues qui leur semblent appropriées et que le libre accès vert ait sa place dans la politique, la disponibilité des versions révisées par les pairs doit être une priorité à l’époque de la désinformation. Un signal fort dans la politique indiquant que les trois organismes soutiennent le libre accès diamant ferait beaucoup pour améliorer la reconnaissance des revues et des infrastructures canadiennes en libre accès diamant. Coalition Publica avait accueilli positivement l’annonce de la révision de la politique par les trois agences. Nous continuons à plaider en faveur d'une stratégie nationale pour le libre accès diamant, ce qui contribuerait grandement à la transition déjà en cours de l’écosystème de la recherche au Canada vers la science ouverte. Coalition Publica se réjouirait de contribuer à la formulation de cette stratégie nationale, qui devrait viser le renforcement de la capacité canadienne en matière de libre accès diamant, y compris dans les sciences naturelles et de la santé.
Tanja Niemann
Co-directrice, Coalition Publica
Directrice générale, Consortium Érudit
Kevin Stranack
Co-directeur, Coalition Publica
Directeur d’opérations, Public Knowledge Project
Au sujet de Coalition Publica
Coalition Publica est un partenariat établi entre Érudit et le Public Knowledge Project (PKP) qui se consacre à l’avancement de la diffusion de la recherche et de la publication numérique dans le domaine des SHS au Canada. Il vise spécifiquement à soutenir les communautés de recherche en SHS dans leur transition vers un libre accès pérenne et équitable. Coalition Publica travaille à réaliser cet objectif en développant une infrastructure nationale non commerciale, en code source ouvert, dédiée à la publication et à la diffusion numériques scientifiques ainsi qu’à la recherche, combinant le logiciel Open Journal Systems (OJS) de PKP et la plateforme de diffusion numérique d’Érudit (erudit.org).